Il y a le Takeshi Kitano de Hana-Bi et Violent Cop, yakuza, cynique, violent et blasé ; il y a aussi le Takeshi Kitano de A Scene At The Sea ou l'Eté De Kikujiro, placide observateur des petites choses de la vie, à l'humour malicieux et empli de poésie et de délicatesse. Achille et la Tortue est donc de cette deuxième catégorie.
Au travers de trois périodes de la vie de Machisu, Kitano dresse le portrait d'une passion obsédante et dévorante, d'une quête acharnée de reconnaissance par et pour l'art seul, d'une passion aussi indispensable et fondatrice pour son personnage que destructrice dans sa vie et son être. Touchant et d'une grande délicatesse, la vie d'artiste de Machisu vue par Kitano, est un chemin de croix qui tait son nom, un chemin difficile et ingrat qui dégage aussi un comique aussi discret qu'efficace. Les différentes périodes picturales de Machisu sont un véritable régal, et l'action-painting vous arrachera sans doute un fou rire intérieur gêné. Tentative après tentative pour trouver son style, Machisu dessine, petit à petit, le ridicule de sa quête, et Kitano remplace progressivement le feu initial par le pathétique d'un homme qui n'atteindra jamais son objectif, tel Achille qui ne rattrapera jamais la tortue malgré son talent...
La mise en scène de Kitano est des plus brillante et réussie, elle passe avec une grande économie de moyens, une émotion véritable et forte. Avec un langage cinématographique, faussement simple, atypique et tellement personnel, Kitano cisèle ses détails et joue des contrastes pour éclairer le spectateur sur ce qu'il découvre. Sous les apparences d'une belle histoire, drôle, touchante et poétique, Kitano met en image une vie ratée, mal vécue et régulièrement marquée par la mort. Achille et la Tortue est au final empli de mélancolie, d'une grande tristesse et d'une immense amertume.
C'est cette capacité qu' a Achille et la Tortue de décrire le triste avec le drôle, de faire apparaître l'ombre derrière la lumière, qui donne au film sa force et sa beauté. Plutôt que de montrer le parcours d'un peintre raté de l'extérieur, Kitano le fait de l'intérieur, en nous communiquant le rêve de son personnage, en n'abordant que l'ambition initiale, pure et entière, jusqu'à en démonter, et nous démontrer, ses mécanismes presque pervers. Kitano aborde l'art par son créateur et non son public, évoquant immanquablement son propre parcours (Kitano, comme Woody Allen est il mieux compris en dehors de son pays que chez lui ?).
Subtil et drôlissime, Achille et la Tortue nous donnerait presque honte de rire du destin de Machisu. Une fois de plus Kitano use à plein de son image et des procédés du clown-triste, il crée l'émotion chez le spectateur en faisant naître dans un même temps rire et larmes. Kitano signe ici un film sur le fil du rasoir, doux-amer, qui vous emmène vers une bien belle expérience, aussi belle dans sa forme que riche de réflexion et d'émotion. Il y a bien un style Kitano (qui en doutait ?), il est ici rayonnant : Achille et la Tortue illumine l'écran et agit sur le spectateur les premiers rayons de soleil du printemps. On adore Kitano, on adore son cinéma, on adore ses silences, son coté Droopy : bref, on adore quand on nous raconte une histoire comme ça !

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